Le divorce

dialogue entre Mme Engueule, Mme Saumon, harangères et M. Mannequin, fort de la halle


air de : Les marigniers d'la guernouillère ou : On doit soixante mille francs


Mme ENGUEULE
    J'aurons l'divorce, ma commère,
    En dépit de nos calotins.
    Avec leux quatre mots latins
    Du mariage, ils font eunn'galère.
    Et l'sacrement nous plonge encor,
    Au fond d'l'enfer, après la mort.

    Jeune brebis douce et gentille
    Tombe à vieux vilain loup garou
    On met du dur avec du mou
    Pour l'intérêt de la famille
    La jeune fille ne veut pas
    Mais papa l'veut ; faut sauter l'pas.

    C'te pauvre enfant qu'on tyrannise
    Obéit, et n'ose pas broncher.
    Comme l'agneau va cheux l'boucher,
    Telle elle va triste à l'église.
    Sa bouche y dit, oui, son cœur, non,
    V'la qu'est bâclé ; l'mariage est bon.

Mme SAUMON
    N'y a pu moyen de s'en dédire,
    Par l'indissolubricité,
    Du bon Dieu, c'est la volonté
    Qu'all souffre un éternel martyre,
    V'la comm'vous raisonne un cagot,
    Qui d'son Dieu fait un ostrogot.
Mme ENGUEULE
    Faut d'la vertu, pu gros qu'un ange,
    Pour que l'mâtin n'soit pas cocu :
    Bientôt la tête emporte l'cul,
    Faut ben gratter où ça démange,
    Un galant gratte, et par un sort,
    V'la qu'ça démange encor pu fort.
Mme SAUMON
    Pour la vertu faut être libre
    L'choix qu'on fait soy même est l'seul bon,
    L'mariage est comme le canon
    Faut qu'son boulet soit de qualibre,
    Sinon il rate ou porte à faux
    Et c'est j'ter sa poudre aux moignaux.
Mme ENGUEULE
    Avec l'divorce mon chien d'homme
    N'me f'ra pu tant son embarras ;
    Il n'vendra plus jusqu'à nos draps
    Pour payer ses d'misquiés d'rogôme ;
    Il sçaura que j'peux l'planter là
    Et ça seul le corrigera.
Mme SAUMON
    Et l'mien donc, qui porte à sa gueuse
    C'que j'gagne, et jusqu'à mes jupons.
    J'en f'ray justice, j't'en réponds.
    Tu verras c'te belle engueuseuse,
    Drès que l'divorce sera v'nu,
    Les yeux pochés, et l'cul tout nu.
JEAN MANNEQUIN
    Quel gyrie et quel bavardage
    S'lon vous tous l'zhommes sont des gueux.
    Vous raisonnés l'a touttes deux,
    Comme des con-seillers d'village,
    Si chez nous, l'y a ben des coquins
    C'est qu'chez vous l'y a ben des catins.

    Nous faut l'divorce, pour bien faire,
    Luy seul rendra l'mariage heureux.
    Quand on peut s'quitter tous les deux
    On y prend garde, on cherche à s'plaire.
    Com ça j'verrons moins d'libertins
    Moins de cocus, moins de catins.

    D'ailleurs que f'roient les droits de l'homme
    Sans l'divorce point d'liberté.
    Leux indissolubricité
    Est eune chaîne all vient de Rome,
    J'lavons traînée assez long-temps ;
    Plus d'chaîne, et qu'les Français soient francs.



La joye de la nation BHVP n° 12031

La loi permettant le divorce est certainement un grand pas en avant pour les femmes. Cependant, comme elle a été votée par des hommes, on peut se demander si ce n'était pas à eux qu'ils pensaient en le faisant.